POURQUOI LÉNA SITUATIONS EST DEVENU UN PHÉNOMÈNE INCONTOURNABLE DE L’INFLUENCE
Depuis ses débuts modestes sur un blog jusqu’à sa statue au musée Grévin, Léna Situations incarne aujourd’hui la transformation radicale du créateur de contenu en véritable marque personnelle influente. Mais comment une jeune femme passionnée de mode est-elle passée de “inconnue” à “incontournable” dans l’écosystème digital, médiatique et commercial ? Cet article décrypte les mécanismes, choix, risques et enseignements de cette trajectoire, et ce que cela dit de l’évolution de l’influence en 2025.
La construction patiente d’un capital narratif et relationnel
La genèse de la success story de Léna Situations remonte à 2012, quand elle lance son blog à l’adolescence pour partager ses astuces mode, beauté et ses bonnes adresses parisiennes. Ce n’est qu’en 2017 qu’elle crée sa chaîne YouTube — un pivot décisif pour amplifier sa voix et toucher un public plus large.
Ce qui distingue dès l’origine son positionnement, c’est la combinaison de trois piliers : proximité, authenticité, récurrence. Elle n’était pas une créatrice de contenus “haut perché” : elle partage ses doutes, ses routines, ses moments de vie — des contenus accessible et identifiable. Elle joue la carte de la “copine qui te dit ce qu’elle fait”.
Ce capital narratif s’est renforcé par la régularité : les Vlogs d’août, un format où chaque jour du mois d’août elle postait une vidéo tournée la veille, est devenu un marqueur de sa marque personnelle. Dans cette approche, l’audience n’est pas seulement un récepteur, mais un compagnon de route.
Cette relation de confiance — rare dans le milieu de l’influence — a permis à Léna de bâtir une communauté “par contiguïté” : ses abonnés l’ont vu grandir, changer, évoluer. Ce capital loyal lui donne aujourd’hui une latitude stratégique : elle peut bifurquer, prendre des risques, sans tout perdre.
L’ascension stratégique : des collaborations ciblées à la marque immersive
La transformation de Léna en “marque personnelle” s’est faite par couches successives d’initiatives stratégiques.
1. Le passage aux collaborations prestige
Elle devient notamment la première influenceuse française invitée au Met Gala. Cette invitation symbolique légitime son statut : elle n’est plus seulement “sur les réseaux”, elle entre dans l’univers culturel et du luxe.
Côté monétisation, son partenariat avec Dior est un cas emblématique : son “impact” sur Dior fut estimé à 4,72 millions de dollars en valeur médiatique. Ce chiffre traduit le pouvoir d’évocation de sa voix dans l’univers premium — pas seulement par le reach, mais par la capacité d’“activation symbolique”.
2. Création de marque et expériences immersives avec Hôtel Mahfouf
En juin 2022, elle lance Hôtel Mahfouf — marque de vêtements et d’objets lifestyle — et inaugure un pop-up parisien mêlant boutique, café, scénographie immersive. Depuis, elle déploie des “pièces” éphémères à thèmes (La Piscine, Le Chalet, Le Boxing Club, etc.) à Paris et à Bruxelles, inscrivant son univers dans l’expérience en physique.
Cette stratégie “phygitale” est essentielle : elle fait basculer le projet de contenu vers un actif tangible, une marque qui vit et respire hors du digital.
3. Diversification des formats et volumes d’audience
Léna ne restreint pas sa présence à Instagram ou YouTube. Elle anime Canapé Six Places, un podcast vidéo hebdomadaire sur Spotify, mêlant confidences, invités et conversations intimes. Le podcast cumule plus d’un million d’auditeurs.
Sur les réseaux elle continue à jongler entre contenus lifestyle, mode, voyages, mais aussi prises de parole plus personnelles, interview, engagement social. Cette diversification nourrit la rétention et l’élargissement de l’audience.
4. Monétisation et modèles hybrides
Selon Forbes, elle réunit plus de 11 millions d’abonnés cumulés (Instagram, YouTube, TikTok). Elle est classée “influenceuse la plus puissante du monde” selon Launchmetrics pour ses placements de produits.
Sur Instagram uniquement, l’outil HypeAuditor estime des revenus mensuels entre 17 500 et 24 000 USD (soit 210 000 à 288 000 USD annuels). Ces chiffres sont certes partiels (hors YouTube, collaborations, vente de produits), mais donnent un ordre de grandeur.
De plus, son livre Toujours Plus s’est imposé comme un phénomène d’édition : il s’est vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires en quelques mois. Ces revenus éditoriaux, additionnés aux revenus des marques, lui donnent un profil de revenue mixte — moins dépendant du modèle “placement pur”.
Les défis d’une visibilité extrême et les tensions internes du modèle
Le statut de “phénomène” porte ses propres risques et contradictions.
Crises, polémiques, légitimité contestée
Elle a fait l’objet de critiques pour son accréditation presse, sa présence aux César, ou sa statue au Grévin, interrogée comme un geste plus médiatique que culturel. Elle a aussi affronté des vagues de harcèlement numérique — lié à sa visibilité, à des prises de parole ou à son apparence.
Ces critiques soulignent une tension centrale : lorsque la “créatrice de contenu” devient “influenceuse institutionnalisée”, elle est soumise à des jugements nouveaux, parfois plus sévères.
Authenticité vs montée en gamme
L’un des défis majeurs est de maintenir la perception de sincérité tout en opérant dans l’univers du luxe et du premium. Si elle “monte en gamme”, elle court le risque de perdre le lien de proximité qui a forgé son capital narratif.
Saturation et renouvellement
À l’heure où les micro-influenceurs revendiquent de la “proximité”, le modèle macro-influenceur est sous tension. Léna doit sans cesse se réinventer pour éviter la fatigue de l’audience. Sa diversification (podcast, pop-up, marque) est une réponse proactive, mais pas une garantie.
Dépendance aux plateformes / risque de contrôle
Comme tout créateur digital, elle reste soumise aux algorithmes, aux changements de politique des plateformes, aux fluctuations de reach. Sa stratégie d’actifs (marque physique, livre, univers) doit servir de tampon face au risque de désintermédiation.
UNE GRILLE DE LECTURE POUR CE QUE CE PARCOURS ILLUSTRE
L’histoire de Léna Situations est plus qu’une “success story d’influenceuse” : c’est un témoignage de la mutation du paysage médiatique et culturel.
Première leçon : le capital narratif est une richesse stratégique. Celui qui raconte son histoire, qui fait grandir sa communauté par l’intime, bâtit une immunité aux fluctuations.
Deuxième leçon : la transition de créateur à marque exige des étapes intermédiaires. Léna n’a pas basculé du jour au lendemain vers une marque lifestyle ; elle a expérimenté, validé, puis érigé son univers offline.
Troisième leçon : diversifier les formats et les revenus est un levier de résilience. Podcast, livre, marque, pop-up — autant de points de contact et de valeur qui compensent la volatilité digitale.
Quatrième leçon : le risque fait partie du jeu quand la visibilité devient intense. La critique publique, la pression d’image, la saturation sont inévitables. Le défi est de les anticiper, de les intégrer dans la stratégie.
Enfin, Léna Situations incarne une tendance de fond : les influenceurs ne sont plus de simples “ambassadeurs”, mais des personnalités culturelles hybrides, capables de faire exister des marques à leur image, de naviguer entre médias, commerce et narratif.
Léna Situations appartient désormais à cette catégorie émergente de “marques personnelles totales” : celles qui combinent contenu, univers, produit et présence médiatique. Sa trajectoire enseigne aux marques, aux créateurs, aux dispositifs d’influence — non pas un modèle immuable, mais une route où l’audace, la cohérence et la réinvention sont aussi essentielles que la portée.
Un article écrit par Benoît Dessaux, le 12 octobre 2025