LE PERSONAL BRANDING : NOUVELLE ARME DES ENTREPRENEURS POUR CONQUÉRIR LE GRAND PUBLIC ?
On en parle partout. Sur LinkedIn, dans les podcasts, sur scène. La recommandation semble devenue dogme. un entrepreneur doit incarner sa marque. Faut-il pour autant transformer sa vie en contenu pour réussir. À l’heure où les agences de storytelling et les coachs en personal branding se multiplient, Brand Zone mène l’enquête, à charge et à décharge. Oui, l’incarnation crée de la confiance et peut raccourcir le chemin vers la conversion. Non, elle n’est pas une obligation universelle. Le marché livre des preuves dans les deux sens.
CE QUE DIT LE MARCHÉ DE LA CONFIANCE, ET POURQUOI L’INCARNATION MARCHE
Depuis cinq ans, la défiance envers les institutions et les dirigeants est devenue un sujet central. Le Trust Barometer 2025 d’Edelman rappelle l’érosion de la confiance et documente la pression mise sur les CEOs. la parole dirigeante est scrutée, attendue, exposée. Contexte clé pour comprendre l’essor du personal branding. la confiance se regagne par des voix humaines, visibles et lisibles. Méthodologie, 33 000 répondants, 28 pays. L’incarnation devient un levier rationnel, pas une coquetterie.
Côté efficacité média, LinkedIn et son B2B Institute défendent depuis plusieurs années l’idée que les prises de parole personnifiées captent mieux l’attention que les contenus strictement corporate. Sur la plateforme, la hausse de l’activité des dirigeants est documentée, avec des niveaux d’engagement supérieurs aux formats moyens, notamment en vidéo, devenue un format privilégié par les C-levels. Autrement dit, le fondateur médiatisé ne remplace pas la marque, il lui ouvre des portes.
Traduction stratégique. pour un entrepreneur, investir sa marque personnelle peut réduire le coût d’acquisition, accélérer les cycles de vente, densifier les retours RP et attirer talents comme partenaires. À condition d’aligner discours, preuve et produit. Sans cela, l’incarnation devient un miroir aux alouettes.
EXEMPLES, CHIFFRES, MÉCANIQUES. QUAND L’ENTREPRENEUR DEVIENT MÉDIA
Justine Hutteau, Respire. Cas d’école. Dès 2019, la cofondatrice associe récit personnel, preuve produit et communauté co-créatrice. La campagne de lancement et la vidéo virale servent d’amorçage. La communauté devient organe de R et D légère, via La Ruche Respire. Résultats tangibles. cinq millions de produits vendus trois ans après la création selon Bpifrance Création, plus de trois mille points de vente à date de l’entretien. La mécanique. pédagogie régulière, distribution multicanale, social proof continu.
Carole Juge-Llewellyn, JOONE. Positionnement radical sur la transparence et la traçabilité. La fondatrice porte le discours de la marque, clé pour des catégories sensibles comme la couche et le soin bébé. Côté chiffres publics, JOONE a levé 10 millions d’euros en 2020 pour accélérer son expansion et sa promesse de transparence, et revendiquait des volumes de cinq millions de couches expédiées par mois dans 23 pays sur sa page officielle. Ici, l’incarnation sert de caution à une proposition produit exigeante. la parole engage, la marque prouve.
Guillaume Moubeche, Lempire, ex Lemlist. Narration de transparence business, chiffres publiés, apprentissages en clair, puis une opération de croissance externe très commentée en octobre 2025. le rachat de Claap, officialisé par l’entreprise, confirmé par la presse spécialisée. Indicateur d’échelle. de 30 à 40 millions de revenus annuels selon les sources disponibles en 2025, le tout sans levée de fonds classique. Le dirigeant devient canal de distribution. son audience transforme l’attention en pipeline.
Lecture commune de ces trois cas. l’incarnation fonctionne quand elle est au service d’un triptyque. vision claire, produits crédibles, distribution maîtrisée. Le storytelling n’est pas cosmétique, il rend lisible. Il fait gagner du temps. Il contracte la distance entre curiosité et essai.
LE RÔLE DES ARCHITECTES. CE QUE FONT RÉELLEMENT LES AGENCES COMME LE SURLIGNEUR
Au cœur de cet écosystème, des acteurs outillent les dirigeants. C’est le cas du Surligneur, piloté par Sixtine Moullé-Berteaux et Manon Beau au sein du Crayon Groupe. Leur promesse n’est pas de faire du lobbying de visibilité, mais d’orchestrer la parole des entrepreneurs pour servir leur business. cadrage éditorial, personal branding sur LinkedIn, relations presse, social design, entraînement à la prise de parole. Leur propre littérature et leurs profils publics décrivent un accompagnement 360, visant à faire émerger des leaders d’opinion crédibles, alignés sur des objectifs business. Dit autrement. elles structurent la narration, posent un tempo, assurent l’amplification et l’hygiène RP. Ce sont des productrices éditoriales, pas des faiseuses de buzz.
Intérêt pour le marché. professionnaliser la narration réduit les risques d’incohérence, évite le personal content de remplissage, sécurise la cohérence entre messages, preuves et sorties médias. Limite à garder en tête. quand tout devient calibré, l’authenticité perçue peut se diluer. La bonne agence pose des garde-fous, ne travestit pas la voix du dirigeant, protège la marque de l’hypertrophie de l’ego.
À DÉCHARGE. LES ENTREPRISES QUI PROSPÈRENT SANS FONDATEUR-INFLUENCEUR
Contre-champ indispensable. toutes les trajectoires gagnantes ne reposent pas sur un CEO médiatique. Back Market a fêté ses dix ans en septembre 2024. quinze millions de clients, trente millions d’appareils vendus dans dix-huit pays selon plusieurs sources, trajectoire confirmée par la presse française et anglo-saxonne, avec une communication orientée produit, fiabilité et impact environnemental. La parole des fondateurs existe, mais elle reste ciblée et institutionnelle. Ici, le produit, le prix, l’expérience et la preuve d’usage priment sur l’hyper visibilité du dirigeant.
Même logique pour un service d’infrastructure comme Doctolib. la marque est tirée par l’utilité publique, l’effet réseau côté soignants et patients, plus que par un flux quotidien de contenus du CEO. Dans ces modèles, l’avantage compétitif repose sur l’expérience et l’écosystème, pas sur la narration personnelle. L’option personal branding existe, mais elle n’est pas déterminante.
La leçon. on peut réussir sans personal branding, si les fondamentaux marketing délivrent. positionnement clair, équation économique solide, distribution robuste, expérience supérieure. Le récit du fondateur peut rester discret si la marque tient seule la promesse.
À CHARGE. LES DÉRIVES, LES ANGLES MORTS, LES PLAFONDS DE VERRE
Trois risques dominent. D’abord, la sur-personnalisation. plus la marque se confond avec la personne, plus la volatilité réputationnelle augmente. L’actualité internationale a montré ces dernières années combien l’opinion lie désormais les actes d’un dirigeant à la préférence de marque, parfois avec un effet direct sur la demande. Ce n’est pas un plaidoyer pour le mutisme, c’est un rappel de gouvernance. qui parle, quand, où, sur quoi, avec quels scénarios de crise.
Ensuite, l’illusion d’optique. certains comptes fondateurs empilent likes et impressions, mais n’alignent ni pipeline ni rétention. Sans ponts vers le commerce, la notoriété personnelle ne convertit pas. Indices à suivre. coût d’acquisition, part de leads organiques attribués aux contenus du dirigeant, brand search, taux d’essai, taux de transfo. Tout le reste est vanité.
Enfin, la soutenabilité éditoriale. tenir une prise de parole de dirigeant est coûteux en temps, en énergie et en rigueur. Les meilleures pratiques constatées sur la plateforme. rythme réaliste, formats maîtrisés, réutilisation intelligente des prises de parole publiques, cap éditorial clair, préférence pour la preuve plutôt que la posture. Les données de LinkedIn sur la hausse de l’activité C-suite et la surperformance de la vidéo confirment l’intérêt, mais pas le rythme marathon. mieux vaut publier moins, mieux, et viser l’utilité.
CE QU’IL FAUT REGARDER, CE QU’IL FAUT MESURER, CE QU’IL FAUT DÉCIDER
Stratégie. définir le rôle de la parole du fondateur dans le mix. autorité d’expertise, recrutement, commercial, influence corporate, diplomatie d’écosystème. Chaque objectif appelle des contenus, des formats et des canaux différents. Un CEO n’a pas à tout faire partout.
Positionnement. articulation claire entre la vision du dirigeant et la proposition de valeur de la marque. Chez Respire, la pédagogie produit et la co-création servent directement l’offre. Chez JOONE, la parole fonde la transparence et rassure sur des attributs sensibles. Chez Lempire, la transparence business nourrit la désirabilité et la distribution. Trois modèles, trois alignements.
Storytelling. préférer la preuve à la posture. chiffres utiles, coulisses significatives, retours d’expérience honnêtes. L’ère est à l’entrepreneur-média, pas à l’entrepreneur-héros. Les agences spécialisées, comme le Surligneur, sont utiles quand elles mettent du cadre, de la cohérence et des RP au service du business, pas quand elles poussent à la sur-exposition.
Mesure. sortir de la logique du like. indiquer des objectifs chiffrés, suivre les métriques d’impact. leads qualifiés attribués à la prise de parole, coût d’acquisition marginal, part organique, taux de transformation, part des recrutements sourcing via contenus du dirigeant, volume de retombées médias et opportunités partenaires.
Garde-fous. chartes internes de prise de parole, formation média, scénarios de crise, validation croisée avec la marque corporate. Plus l’incarnation est forte, plus la gouvernance doit être claire.
LECTURE BRAND ZONE. CLÉ, PAS DOGME
Le marché tranche. Le personal branding est une clé, pas la clé. Il accélère la confiance, clarifie la vision, densifie l’écosystème autour d’une marque quand il est bien gouverné. Les cas Respire, JOONE et Lempire illustrent sa capacité à déplacer des lignes, à condition d’être au service du produit et de l’expérience. Les trajectoires comme Back Market prouvent qu’on peut conquérir des marchés massifs avec une posture dirigeante mesurée, si l’offre et la distribution délivrent.
La tendance 2025 est claire. l’entrepreneur devient un média. La bonne question n’est plus faut-il parler, mais comment, à quel rythme, pour quel résultat, avec quels garde-fous. La maturité éditoriale consiste à choisir la bonne intensité d’incarnation selon le secteur, la phase de croissance, la personnalité du fondateur. Le storytelling ne remplace jamais la stratégie, il la rend visible. L’exigence, c’est l’alignement. dire vrai, prouver souvent, mesurer toujours.
Un article écrit par Benoît Dessaux, 30 octobre 2025
