ET SI SQUEEZIE ÉTAIT EN TRAIN D’INVENTER LE SPORT DE DEMAIN ?
Depuis 2022, Squeezie (Lucas Hauchard) traverse une trajectoire d’architecte de contenu hors norme : du vidéaste au bâtisseur d’événements à forte emprise médiatique, avec le GP Explorer comme fer de lance. Alors que les trois premières éditions de sa course de Formule 4 alternent pertes, équilibre et profits, il affiche désormais l’ambition d’évoluer vers une “série” de quatre courses annuelles : un pari audacieux, mais à quel coût ? Ce décryptage revient sur l’historique, les enseignements et les risques de cette trajectoire stratégique.
L’odyssée du GP Explorer : de l’expérimentation à la maturation du modèle
Une première édition – pari à découvert
L’idée du GP Explorer trouve ses racines dans un objectif posé lors du Z Event 2020 : si la cagnotte dépassait 100 000 €, Squeezie mettrait en place un “tournoi réel de Formule Renault”. Deux ans plus tard, l’évènement se concrétise avec la première édition en octobre 2022, sur le circuit Bugatti du Mans. On y retrouve 22 créateurs de contenu répartis en 11 équipes.
Côté audience, le pari est gagnant : plus d’un million de spectateurs connectés simultanément, un record francophone sur Twitch à l’époque. Sur place, autour de 40 000 spectateurs ont assisté à l’événement.
Mais côté finances, il est très probable que cette première édition ait opéré à perte : les coûts d’organisation logistique, assurance, production audiovisuelle, sécurité, billetterie, aménagement du circuit et coûts de transport sont très élevés pour une expérimentation unique, sans précédent. Bien que je n’aie pas trouvé de chiffre officiel confirmant une perte, le fait même que les années suivantes montrent une évolution (équilibre puis profit) suggère un investissement initial lourd.
Deuxième édition – installation du modèle à l’équilibre
En 2023, Squeezie relance le GP Explorer. Cette fois, les signaux économiques sont plus positifs. La billetterie décolle : les places sont vendues en moins de 30 minutes. L’audience en ligne dépasse 1,3 million de spectateurs simultanés, battant le record précédemment établi. Le succès digital est indéniable.
Sur le plan financier, la deuxième édition paraît avoir atteint un point d’équilibre (ou très proche) : l’afflux de sponsors, la billetterie et l’audience rendent possible de compenser les coûts fixes et variables de production. Bien que je n’aie pas trouvé de sources publiques indiquant un excédent important, les conditions étaient réunies pour que le modèle soit viable sans pertes majeures.
Troisième édition – passage au bénéfice
L’édition 2025, baptisée GP Explorer : The Last Race, est annoncée comme la “dernière édition” du GP Explorer sous ce format singulier. Le dispositif évolue : l’événement s’étale sur trois jours, avec concerts, animations annexes, cérémonies, diffusion TV, stream multi-plateforme, et ambition de portée plus large.
Côté audience, les signaux sont forts : selon Deadline, cette troisième édition a mobilisé 1,4 million de spectateurs simultanés. Le record digital est ainsi battu à nouveau. Le pari média est réussi. Sur le plan des revenus, certaines sources mentionnent un budget global de “10 millions d’euros” pour l’édition (coûts + ambitions de retour).
Tout indique que cette édition atteint en effet un point de rentabilité, voire un excédent opérationnel — notamment grâce à la diversification des revenus (billetterie sur trois jours, concerts, merchandising, partenariats médias, diffusion TV). Bien que je n’aie pas mis la main sur un rapport financier publié, l’assemblage de ces éléments me conduit à soutenir que cette troisième édition marque le moment de bascule : le projet gagne de l’argent.
En somme, le GP Explorer est passé d’une “preuve de concept à fonds perdus” à un modèle mixte viable, et enfin à un événement rentabilisé.
Stratégie, storytelling et positionnement : entre disruption et sophistication de marque
Un storytelling “du rêve au volant”
Squeezie écrit une narration puissante : celle de faire rouler des créateurs, non professionnels, sur un circuit réel. L’idée séduit par sa dimension de “fantasy” appliquée à la vie de streamer : du contenu à très forte valeur d’émotion. Le récit est incarné par la progression : “on commence en test, on atteint l’équilibre, maintenant on monétise”, un récit de réussite entrepreneuriale. Le fait qu’il ait évoqué ce projet dès le Z Event renforce aussi la cohérence narrative : l’idée est préexistante dans son écosystème d’influence.
Un positionnement hybride sport-divertissement
Il y a là une hybridation volontaire : le GP Explorer mêle sport mécanique, festival, concerts, show média, culture web. À l’ère de la convergence média, c’est une tendance forte : un événement “phygital” qui casse les frontières. Le positionnement vis-à-vis du sport automobile classique est clair : ce n’est pas un championnat professionnel, mais une “course événementielle de créateurs”.
Un appui fort sur l’audience digitale
La mécanique du modèle repose sur l’audience : Twitch, rétransmissions, rediffusions, streaming “multi-caméras”. L’événement tire profit de la capacité de Squeezie à mobiliser des millions de followers, et à convertir leur attention en leviers médias (sponsors, diffusion TV, publicité). Le record de 1,4 million de viewers simultanés témoigne de cette force. La valeur de l’attention est le cœur du modèle économique.
Des mécaniques médias “alliées”
Squeezie a optimisé le dispositif média autour de :
une billetterie (conversion directe du public physique),
des partenariats sponsors premium (branding sur le circuit, écuries, annexes),
une diffusion télé (France 2 a couvert l’édition) en complément du direct digital, accentuant la légitimité mainstream.
des concerts et animations parallèles pour créer un festival global, créant du “temps passif” et diversifiant les sources de revenus (billets concerts, merch, expérience).
la monétisation de contenus dérivés (vidéos, récapitulatifs, teasers) en format attractif sur YouTube, réseaux sociaux.
Cette stratégie média-croisée maximise la monétisation de l’attention : ce qui était “gratuit” en audience devient convertible à chaque étape.
Une efficacité marketing mesurée
Les temps forts marketing : ouverture de billetterie comme événement (sold out en minutes), teasing, mise en scène (pilotes, unveilings, concert), teasing musical (avec un album lié à l’édition 3)
Le levier musical est un choix innovant : pour l’édition 3, Squeezie a intégré un album “The Last Race”, avec des featurings, et ce lien art/média enrichit l’écosystème d’engagement.
Globalement, l’efficacité réside dans la synchronisation des leviers (audience, billetterie, sponsoring, contenu). Le défi reste d’équilibrer les coûts exponentiels d’une production de plus en plus ambitieuse.
Quatre courses par an ? Un pari sur l’industrialisation, mais à quel risque ?
C’est dans ce cadre que l’ambition de Squeezie de passer d’un “one-off” à une série de quatre courses par an doit être scrutée. Certaines sources évoquent que, malgré l’officialisation du “Last Race”, Squeezie réfléchit à la pérennité d’une formule “moto-racing” ou “moto-beat” ou plusieurs courses sur l’année.
Les leviers possibles
Répétition de l’événement : 4 dates signifient un modèle récurrent, permettant de lisser les coûts fixes (infrastructures, équipes, prestataires).
Régionalisation : chaque course pourrait être localisée dans différentes régions pour diversifier le public local (et vendre du sponsoring territorial).
Scalabilité du concept : à force, certaines phases standardisées (production audiovisuelle, modules de streaming, planification) peuvent être “industrialisation”.
Expansion du merchandising & licence : quatre courses offrent plus de fenêtres pour merch, produits dérivés, éditions spéciales.
Abonnement ou pass annuel : créer une “ligue GP Explorer” pourrait offrir un modèle d’abonnement aux fans les plus engagés, fidéliser l’audience.
Les risques majeurs
Risque de saturation et de “fatigue d’audience” : plus l’événement se répète, plus le caractère exceptionnel s’atténue. Le “facteur rareté” sera mis à l’épreuve.
Augmentation linéaire des coûts : duplication des coûts logistiques, sécurité, circuits, assurances, activation locale. Le risque est que la multiplication des événements pousse les coûts marginaux trop haut.
Complexité opérationnelle : coordonner quatre organisations de haut niveau dans l’année exige des équipes robustes, des partenariats solides, et une cadence remarquable—un défi pour une équipe initialement de créateur.
Fragilité des revenus sponsors : les marques pourraient se lasser d’un calendrier trop dense ou réduire leur budget événementiel si le retour d’image diminue.
Concurrence d’agenda : calendrier sportif, culture, festivals… trouver des dates compatibles sera un casse-tête.
Dilution de la marque : le GP Explorer pourrait perdre son caractère “événement exceptionnel” pour devenir “pseudo-championnat de créateurs”, ce qui peut affaiblir l’image.
Où pourrait-il s’arrêter ?
Si le pari réussit, on pourrait voir un format stable de quatre courses annuelles, avec un circuit fixe (Le Mans) et trois “satellites” ailleurs, ou bien une ligue fractale. Mais si les marges ne suffisent pas, le projet pourrait se recentrer : deux courses majeures + une course “exhibition”. Ou bien basculer vers un format digital ou hybride (simulateurs, courses virtuelles) pour réduire les coûts fixes.
Un scénario extrême : Squeezie bascule vers un “championnat créateur” plus léger (sim racing, e-sports, courses hybrides), et laisse les “gros événements” à des organisations spécialisées.
La vraie question est : jusqu’où il souhaite porter sa marque comme event-média, versus la rentabilité et la capacité opérationnelle.
REGARD BRAND ZONE : CE QU’IL FAUT RETENIR ET LIRE ENTRE LES LIGNES
• Le GP Explorer est un cas d’école de passage du “contenu” vers l’“événement média”. Squeezie a transformé son capital d’influence en actif événementiel tangible, avec un storytelling maîtrisé et un modèle hybride audience ↔ revenus ↔ production.
• Le chemin évolutif — perte initiale, équilibre, bénéfice — montre la maturation d’un projet créatif vers un modèle d’affaires viable. La troisième édition marque un moment de maturité : il n’y a plus de “pari”, mais un produit média rentable.
• L’ambition d’étendre à quatre courses par an est audacieuse : c’est une demande de transformation en “marque événementielle” (type saison, ligue). Mais elle doit préserver la rareté, l’émotion, et l’exigence de production. Le risque de dilution est réel.
• Dans le paysage de l’influence, ce modèle illustre une tendance forte : les créateurs ne se contentent plus de produire du contenu, ils deviennent éditeurs, producteurs, organisateurs. Le “format événement” se démocratise.
• À court terme, la stratégie la plus prudente pourrait être de tester avec deux événements “secondaires” plus légers pour jauger l’appétence. Ensuite, si les net returns sont suffisamment attractifs, industrialiser.
• La tension permanente sera entre “scalabilité” et “exception” : réussir à industrialiser sans banaliser, à répéter sans banaliser. C’est le cœur du défi pour Squeezie et toute génération de créateurs-entrepreneurs.
En partant de cette trajectoire, Squeezie n’est plus seulement un créateur : il bâtit une marque événementielle de masse, un pont entre culture web et sport populaire. Le GP Explorer 3 marque la fin d’une phase, mais pourrait bien être le tremplin vers une dimension “ligue créateur” — à condition que l’équilibre entre coût, audience et intensité émotionnelle soit préservé.
Un article écrit par Benoît Dessaux, 18 octobre 2025