POURQUOI RODOLPHE BELMER VOIT YOUTUBE COMME LE « PRINCIPAL CONCURRENT » DE TF1 ?
Depuis plusieurs années, le paysage audiovisuel français est en pleine mutation. Les usages évoluent, les écrans se multiplient, et les plateformes numériques captent une part croissante de l’attention. Dans ce contexte, Rodolphe Belmer, directeur général du groupe TF1, a clairement exprimé son diagnostic : selon lui, YouTube est aujourd’hui le principal concurrent de TF1, notamment dans la publicité vidéo digitale.
Cet article propose une plongée stratégique dans cette affirmation : sur quoi se fonde ce positionnement ? Quelles sont les implications pour les marques ? Et que révèle cette vision sur l’évolution du marché audiovisuel et de l’influence en France ?
YOUTUBE FACE À LA TÉLÉVISION : un affrontement inégal mais révélateur
Pour comprendre l’enjeu de la déclaration de Belmer, il faut d’abord observer les données d’audience. YouTube compte plus de 50 millions d’utilisateurs actifs mensuels en France, avec en moyenne 46 minutes passées chaque jour sur la plateforme. Une part importante de ce visionnage (autour de 36 %) se fait sur écran de télévision (via Smart TV ou box) : YouTube s’immisce donc dans le champ de la télévision connectée.
Toutefois, malgré ces chiffres impressionnants, la télévision classique conserve une emprise très forte, notamment en durée d’écoute. Pour les “4 ans et plus”, l’écart reste large : 2 h 57 par jour devant la TV contre 26 minutes sur YouTube. Chez les 15-49 ans, la TV atteint 1 h 38 d’écoute quotidienne, contre 46 minutes pour YouTube. En couverture, la télévision conserve aussi une domination globale : 98 % de la population 4+ est touchée par la télévision chaque mois, contre 62 % pour YouTube.
Ce constat nuance l’affirmation de Belmer : YouTube n’est pas encore “la télévision”, mais il grignote les usages, particulièrement chez les publics les plus recherchés (jeunes, urbains, connectés). Ce glissement d’usage est autant une menace qu’une opportunité pour les chaînes traditionnelles.
LA STRATÉGIE DE TF1 : TF1+ comme réponse directe à YouTube
L’un des aspects clés de la prise de parole de Belmer est de replacer cet affrontement dans la guerre publicitaire vidéo. Il ne s’agit pas seulement de capture d’audience, mais de monétisation. Dans son entretien aux Échos, il explique que le marché de la publicité vidéo digitale, porté par les usages mobiles et connectés, est dominé par YouTube, Facebook ou TikTok.
Pour répondre, TF1 a lancé TF1+, plateforme de streaming gratuite, ce qui permet au groupe d’entrer dans le jeu concurrentiel des “platesformes médias”. En 2024, TF1+ aurait atteint 33 millions de streamers mensuels et enregistré 1,2 milliard d’heures visionnées selon Médiamétrie. Belmer évoque aussi une montée de 40 % du chiffre d’affaires publicitaire de TF1+ sur l’année 2024.
Il s’agit d’un virage audacieux : TF1 passe du rôle de simple « diffuseur » à celui de plateforme de contenus, intégrant production, agrégation et monétisation directe. Dans ce modèle, la concurrence ne se limite plus aux chaînes mais inclut les plateformes vidéo “pure players”.
Belmer mentionne aussi les écarts de modèle économique : le CPM publicitaire (coût pour mille impressions) sur YouTube est estimé à 5-6 €, tandis que sur TF1+ il serait à 12 €, ce qui traduit une premiumisation de l’inventaire “premium TV” versus “inventaire digital”.
En alignant TF1 avec les logiques de plateforme, le groupe vise deux objectifs : capturer une audience “digital native” qui fuit le linéaire, et offrir aux marques un inventaire premium enrichi (data, ciblage, formats long).
CE QUE CETTE POSITION RÉVÈLE SUR LE MARCHÉ DE L’INFLUENCE ET DES MARQUES
L’affirmation de Belmer ne s’adresse pas uniquement aux acteurs TV ; elle a des conséquences pour les marques et les stratégies d’influence. Voici les principales leçons :
1. La frontière médias / plateformes s’estompe.
Les créateurs et les influenceurs sur YouTube sont devenus des acteurs de contenus concurrents des chaînes historiques. Une marque peut gagner plus d’impact en pivotant vers un partenariat avec un créateur YouTube qu’en achetant un spot TV. Le positionnement de Belmer l’atteste : TF1 ne se voit plus simplement face à France Télévisions ou M6, mais face aux géants du digital.
2. L’inventaire “premium” est stratégique.
Le fait de maintenir des CPM plus élevés sur TF1+ suggère que les marques doivent payer pour de la qualité, de l’environnement “marque sûre”, même dans l’univers digital. Les espaces low cost (YouTube, réseaux sociaux) restent intéressants pour le reach, mais les marges de manœuvre s’amenuisent en termes de monétisation premium.
3. Le mix média devient hybride obligatoire.
Les marques ne peuvent plus opposer “TV” vs “digital” : elles doivent orchestrer des dispositifs multi-écrans — spots TV, diffusion sur plateformes TV connectée, contenus longs numériques, capsules sociales — pour capter les audiences aux moments et contextes les plus pertinents.
4. La donnée et le ciblage deviennent déterminants.
Dans l’univers digital, les annonceurs exigent plus de transparence, de granularité et de ROI. TF1+ doit rivaliser avec YouTube, mais aussi avec les algorithmes de ciblage de Google. Le défi pour les chaînes est de redéployer leurs actifs (audience, contenu, marque) en inventaire premium “adressable”.
5. Une logique d’attention “longue” contre “flash” numérique.
Les chaînes traditionnelles possèdent un avantage narratif : le format long, le temps d’immersion. Face à l’écrasement des contenus courts sur YouTube ou TikTok, les marques doivent choisir entre volumes d’exposition ou qualité de lien. TF1 espère capitaliser sur son expertise de storytelling et de formats TV pour offrir aux marques un “digital premium”.
REGARD BRAND ZONE
La déclaration de Belmer n’est pas une provoc : elle synthétise un virage profond du modèle audiovisuel. YouTube n’a pas encore remplacé la télévision, mais il s’impose comme le point de convergence des usages vidéo modernes. Pour les marques, cette bascule force à repenser les stratégies d’influence autour du mix plateforme / créateurs / contenu long.
Dans ce choc entre ancien et nouveau monde de la vidéo, la ligne de front est celle de l’attention premium et du contrôle direct de l’inventaire. TF1 mise sur sa marque, ses contenus et ses audiences pour se repositionner dans ce nouveau paradigme. YouTube, de son côté, reste le bulldozer de la vidéo à large échelle, mais doit composer avec les logiques de monétisation premium qu’incarnent désormais les chaînes historiques.
Pour les marques, la leçon est limpide : il faut envisager YouTube non comme un simple support à optimiser, mais comme un concurrent de contenus, aux côtés des chaînes. Dans cette bataille d’attention, seul le pilotage fin des audiences, des contenus et du message apportera un avantage compétitif.
Un article écrit par Benoît Dessaux, le 17 octobre 2025